Petrich - Malko Tarnovo : winter is coming...

Nous passons une frontière, mais restons dans la région de la Macédoine en arrivant en Bulgarie. C'est un peu le frère rival de son voisin au nom contesté. Les Bulgares ont été parmi les premiers à reconnaître l'existence de la république de Macédoine... mais pas de la nation macédonienne, ni de la langue : officiellement, vu de ce côté de la frontière, ce sont des Bulgares, qui parlent naturellement bulgare. 

 

La route des vins continue également avec la région de Melnik connu pour son merveilleux terroir.

 

Par contre, les températures frisquettes du début du voyage commencent à se faire à nouveau sentir. Il va nous falloir suivre les oiseaux migrateurs, en espérant ne pas laisser trop de plumes dans les montagnes de Pirin et de Rila, qu'on devra traverser pour qu'ensuite le dénivelé et le mercure atteignent un niveau raisonnable.

 

Le passage par Sandanski (et globalement la Bulgarie) réveille beaucoup de souvenirs pour Elena. Un peu longs à décrire ici, vous pouvez les retrouver (ainsi que François Maspéro...) ici. C'est là que la toute première crevaison du voyage a lieu ; il faut dire que nos pneus nous ont courageusement conduit sur toutes sortes de revêtements, du beau goudron lisse aux chemins caillouteux et nids de poule, et c'est normal qu'ils commencent à fatiguer. Trouver un nouveau pneu Schwalbe Marathon se révélera difficile en Bulgarie, mais on finira par en dénicher un à Burgas ; en attendant, un pneu classique fera l'affaire. 

 

 

Trois options s'offraient à nous (au moins) pour traverser la Bulgarie : par les Rhodopes au sud (par Gotse Deltchev), entre les montagnes de Pirin et Rila (par Bansko), ou entre celles de Rila et de Vitosha plus au nord (par Samokov).  L'hiver à nos trousses nous poussent à choisir la route montant le moins haut, celle de Samokov. 

 

On nous avait prévenu, la route de Sandanski à Blagoevgrad est dangereuse pour les cyclistes. Une petite route parallèle nous conduit jusqu'à Kresna, mais il n'y a plus d'alternative après. La route étroite qui serpente au creux des gorges est étroite et chargée de tous les camions qui vont de la Grèce à la Bulgarie ; c'est d'ailleurs dommage de devoir garder nos yeux rivés sur les guidons quand le paysage est si beau tout autour. 

 

Après Samokov, on passe à côté d'une station de ski (Borovets), sans doute pour la dernière fois de ce voyage, car les nuits à cette altitude sont déjà fraîches en ce début d'automne (on est alors à la mi-octobre). La route descend ensuite, et ne montera plus tellement jusqu'à la mer Noire.

 

Un peu avant Pazardzhik, on trouve refuge dans d'anciens vestiaires vides devant le stade de foot d'un petit village. Des enfants sont en train de jouer ; nos vélos ne manquent pas d'attiser leur curiosité, et on sympathise avec plusieurs d'entre eux. Quand on leur joue la chanson macédonienne "Makedonsko devojtche", deux frères entonnent le refrain avec nous : c'est une chanson que les petits bulgares apprennent toujours à l'école, comme chanson du patrimoine bulgare. 

 

On pensait que la soirée s'arrêterait là... quand on découvre qu'une de nos sacoches manque à l'appel, alors qu'on est pourtant restés tout le temps à côté des vélos. On pense d'abord qu'elle est sûrement cachée quelque part, mais il faut bientôt se rendre à l'évidence : elle a disparu. Sans nourrir trop d'espoirs, on fait tous les deux des tours du quartier en parlant aux voisins. D'autres avant nous avaient peut-être connu d'autres mésaventures ici et exprimé leur détresse à coups de SOS sur les murs du bâtiment ; on aurait du se méfier d'un tel lieu... L'un d'eux nous aide en faisant des tours du quartier en voiture... et un autre, Ferdinand, revient avec la sacoche ! Tout est là, ou presque : il ne manque qu'une veste de pluie de Gaetan. On n'en croit pas nos yeux. C'était apparemment un des enfants, que connaissait ce voisin, qui nous avait pris la sacoche. On n'a pas de mots pour remercier assez notre bienfaiteur !

Remis de nos émotions de la veille, on arrive à Pazardzhik. La pluie tombe à flots, et, à cause du peu d'égouts, les rues sont inondées en quelques minutes. On apprécie d'autant plus la grosse couette lourde sous laquelle on dort ce soir, chez Nedka, la mère d'un ancien collègue de Delyan, un ami désormais presque plus breton que bulgare, qu'on retrouve ici. 

 

Nedka est aux petits soins pour nous et nous cuisine de délicieuses banitsa au potiron pour le petit-déjeuner. Elle nous emmène visiter le zoo sur la petite île au milieu de la Maritza (la rivière chère à Sylvie Vartan, une star en Bulgarie). 


Sasho le tigre, à droite, et sa compagne, font "cage à part".

Pas la peine de faire le fier, lama, les boucles de Delyan sont bien plus belles.

Les cyclovoyageurs, c'est connu, laissent souvent des regards ahuris sur leur passage...

Elle est bien bonne celle-là !

 

Prochaine étape : Plovdiv. La pluie nous accompagne, mais les cafés et bars chouettes ne manquent pas pour s'abriter. On pose notre dévolu sur Malkata Biblioteka (la petite bibliothèque) et Kotka i Michka (le chat et la souris), dans le quartier de Kapana. 

 

Nedka a une amie qui vit à Plovdiv et peut nous héberger une nuit, Lora. Née en Russie, elle s'est marié à un bulgare et vit à Plovdiv depuis des décennies, mais on a l'impression de voyager en arrivant chez elle : une grande carte de l'URSS est accrochée dans le couloir, la télé bavarde en russe dans la pièce d'à côté, et il y a même une petite photo du dernier tsar de Russie  au milieu du mur d'icônes orthodoxes dans la chambre à coucher. 

 

Autour d'un petit déjeuner de boulettes de viande et de légumes, elle nous raconte d'une traite, ou presque, toute sa vie : son départ de la Russie, son mariage, le village bulgare qu'elle voulait quitter pour la ville, la mort de son mari à cause de l'alcool, ses deux enfants, comment les femmes devraient se comporter envers les hommes (ne pas faire de reproches, donner les meilleurs morceaux de la viande...), les difficultés à vivre avec la maigre retraite bulgare, les sentiments anti-russes de certains Bulgares, le voyage de motards russes sur les traces de l'Armée rouge libérant l'Europe - "sont-ils allés jusqu'en France d'ailleurs ? Ah non, la France ne s'est pas battue, elle était occupée. Bon, en tout cas, au moins jusqu'à Berlin, ça s'est sûr." (sic). Malgré ses manières un peu brutales et ses opinions parfois contestables, elle est touchante. 

Plaine de la vallée de la Thrace Supérieure (Gorna Trakia), devant la montagne du Balkan

 

Nous prenons une dernière fois la direction du Nord, pour longer la montagne du Balkan (Stara Planina) - qui a donné son nom à toute la région - jusqu'à la mer. En chemin, on croise un vieux monsieur qui tire une carriole avec peine. On s'arrête pour lui proposer de l'aide ; il refuse en souriant, et discute un peu avec nous de ces temps durs, de l'exploitation, de l'enrichissement des élites, du vol des terres. "La France aussi est un pays capitaliste, non ?" Attention, le communiste version bulgare n'était pas mieux. Ce qu'il faudrait, d'après ce sage homme, c'est la vraie démocratie, celle du peuple.

 

Nous remplissons plus loin nos bidons à une fontaine et apercevons juste derrière un préfabriqué, une camionnette et une petite terrasse avec barbeuc, ou deux, trois habitués sont en train de refaire le monde, un verre de rakia dans une main, une clope dans l'autre. 

 

Le tenancier de la gargote, curieux, fait connaissance avec nous, puis nous propose de dormir au chaud  dans le baraquement.

 

Ses derniers clients partis, le plus souvent des chauffeurs routiers de tout pays et au-delà, Todor nous retrouve pour une soirée que représente bien le tableau accroché au dessus de nos têtes.

    

On laisse la ville d'Elena au Nord et avançons vers la mer. Nos vélos commencent à fatiguer, car cette fois, c'est la jante de Gaetan qui nous lâche en se fendant sur quelques centimètres : impossible de continuer, ça pourrait devenir dangereux. On trouve un vélociste à Sliven, qui remet le vélo de Gaetan "sur roues", et on peut poursuivre notre route vers l'Est. 

 

A quelques dizaines de kilomètres de la mer Noire, nous laissons derrière nous la dangereuse route que nous suivions depuis Karlovo, où les camions grondaient régulièrement derrière nous comme les Marcheurs blancs qui accompagnent l'hiver, pour nous engouffrer dans une petite route serpentant les collines.

A la recherche d'un abri pour la nuit qui s'annonce pluvieuse, nous arrivons au village de Miroliobovo, nom qu'on pourrait traduire par "de l'amour paisible". Nous tombons sur Petar Stoyanov, homonyme d'un ancien président bulgare, qui nous ouvre grand les portes de son garage - son voisin et beau-frère nous avait d'abord conseillé un bâtiment à l'extérieur du village, mais pour Petar, c'est un "squat pour drogués", pas question qu'on y aille ! 

 

Petar (sur)vit avec sa mère de 92 ans, suivant un régime alliant rakia maison (toute la journée et notamment dans le café le matin), cueillette (grâce à une grande connaissance des plantes, notamment médicinales), chasse, pêche (avec son vieux copain d'enfance), et surtout une bonne dose d'histoires, dont il possède un sacré répertoire. Il a une sacre tchatche et tel le conteur bulgare Yordan Raditchkov, il passe d'une histoire populaire à des blagues, des citations... Comme il dit, quand il lance un petit mensonge de temps en temps autour de la table avec ses vieux amis, ceux-ci commencent à s'animer, à débattre ou à rire ; c'est grâce à lui qu'ils se réveillent et quittent leur mines défaites. 

Petar et les deux chatons qu'il prend sous son aile

Apres avoir quitte l'Adriatique en Albanie un mois plus tôt, les premières lueurs de la mer, Noire cette fois-ci, nous apparaissent de nouveau alors qu'on arrive au sommet d'une colline.

 

Poussés par le vent, nous descendons jusqu'à Slantchev Briag puis Nesebar. La première de ces villes, dont le nom signifie "la côte du soleil" ou "sunny beach", est la plus importante station balnéaire de Bulgarie. Pour nous, en ce début d'automne, c'est surtout une ville fantôme regorgeant d'hôtels, de restaurants et de clubs vides d'une tristesse à donner envie de crever. Hélas, ce sera le cas pour le pneu arrière d'Elena, qui avait été remplacé à Blagoevgrad : il est grand temps de retrouver des bons Schwalbe Marathon !

 

La seconde est une ville musée très bien préservée, qui avec ses 2 600 ans d'histoire, est inscrite au patrimoine de l'Unesco. Vidée elle aussi de ses habitants en ce mois d'octobre, on profite peinards du calme et de son architecture d'un autre temps. En revanche, on ne peut que se poser la question d'une double peine pour ce genre de village : invivable l'été et mort le reste de l'année : où se trouve la frontière à partir de laquelle le tourisme arrête de faire vivre une ville pour commencer à la tuer ?  

 

Un peu après Burgas, nous passerons par Sozopol, ville côtière également chargée d'histoire, mais un peu plus "habitée" et vivante que Nesebar malgré les quelques hôtels et magasins touristiques du centre historique.     

Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés, et bivouac à l'abri du vent et de la pluie !

 

A Burgas, Mitak nous accueille pour quelques jours. Une machine à laver, une douche et un toit : il en faut peu pour être heureux en voyage à vélo ! 

 

Mitak (un musicien talentueux à ses heures perdues) nous emmène manger dans de bons petits restos, indien puis italien (une pizzeria excellente tenue par une famille italienne). Comme Sasho à Bitola, il a des amis partout dans la ville. On regarde aussi ensemble L'An 01, qu'on voulait voir depuis longtemps (et que vous pouvez voir ou revoir en ligne), qui raconte comment les gens décident d'arrêter de vivre pour travailler, jettent leurs clés par la fenêtre, quittent leurs voitures pour enfourcher leurs vélos, et où les collections de billets de banque sont des lubies aussi exotiques que celles de papillons... 

En Bulgarie, pas de pneumonie mais des pneus honnis...

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Commentaires: 6
  • #1

    catherine (vendredi, 18 novembre 2016 17:44)

    chouette reportage!
    on se ballade avec vous, au gré des rencontres , des villages , des bistrots bien animés ...
    avec les musiques diverses en prime
    merci à vous!
    bisous

  • #2

    Timo (vendredi, 18 novembre 2016 19:54)

    Super article comme toujours !
    Ca donne envie d'enfourcher sa bicyclette et de partir au gré du vent...
    Bonne route !

  • #3

    Romain (mercredi, 23 novembre 2016 08:07)

    Toujours à l'affut de vos récits mes amis. J'en perds pas une miette, j'aimerais tellement être à vos côtés le temps de quelques coups de pédale. Je pense fort à vous !

  • #4

    Anne-Sophie C (samedi, 26 novembre 2016 07:29)

    Super récit encore une fois !!! J'ai même réussi à m'inquiéter le temps de quelques lignes pour la sacoche de Gaëtan ! J'espère que les coups de pedale vous permettent de vous réchauffer :)
    Bisous

  • #5

    Alfieri (vendredi, 13 janvier 2017 10:26)

    Bonjour!
    Michele

  • #6

    Elena et Gaetan (samedi, 14 janvier 2017 17:09)

    Ciao Michele ! Comment tu vas ? On pense souvent à toi ! On est arrivé en Grèce, bientôt, de nouveau, l'Italie, mais cette fois dans le sud. Bacci !