Pec / Peja - Brod : dans le berceau kosovar

 

Nous voici arrivés à l'une des frontières les plus contestées de notre voyage, comme le rappellent des affrontements réguliers (les derniers en date sur la frontière entre le Monténégro et le Kosovo datent du 11 août...).

 

Fini le serbo-croate, qui avait fini par nous être bien familier, depuis la Serbie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro : c'est parti pour l'albanais et ses mots à quatre ou cinq syllabes ("përshëndetje" pour "bonjour", ou "faleminderit" pour "merci")... 

Le drapeau kosovar, dernier en date en Europe, est le grand absent : on verra beaucoup plus de drapeaux albanais (voire états-uniens !) dans les rues et sur les maisons.

Au poste frontière, les gardes nous informent (sympa de leur part !) qu'avec ce tampon sur nos passeports, on risque d'avoir des problèmes à passer la frontière serbe ; mais on a prévu le coup, et on ira ensuite vers l'Albanie, qui est le seul pays frontalier du Kosovo pour lequel les relations frontalières sont plus que cordiales.

 

Peu après, on fait la connaissance d'un groupe d'Albanais, dont un monsieur qui vit en Bavière, et parle un allemand irréprochable... et qu'on recroisera plus tard à Deçan / Decani (tous les noms de villes ou presque ont une version albanaise et une autre serbe : attention au mot qu'on choisit selon notre interlocuteur !). Ils nous emmènent voir les belles bêtes ci-dessus, qu'on préfère voir derrière un grillage qu'à la sortie de la tente ! 

Le Kosovo abrite de nombreux monastères orthodoxes, ainsi que l'ancien patriacat de l'Eglise autocéphale serbe à Peć  / Peja - c'est un argument qu'on entend d'ailleurs beaucoup en Serbie pour justifier de la place du Kosovo comme berceau de la nation serbe. Devant le patriarcat, des gardes sont postés, et nous sommes invités par un panonceau à "déposer nos armes" dans une boîte à cet effet. Voici le climat des relations serbo-kosovares...

 

Nous visitons plus loin également le très beau monastère du XIVe siècle de Dečani / Deçan, ci-contre. 

 

 

Le cimetière où sont enterrées les victimes du massacre de Meja, un petit village près de Đakovica / Gjakova. Nous avions été intrigués par les dates de décès, toutes les mêmes : le 27 avril 1999. Ces personnes ont été exécutées par les forces de police serbes après que l'Armée de Libération du Kosovo a tué six policiers serbes...

 

Notre traversée du  Kosovo du nord au sud se fait par une route plate, poussiéreuse avec peu de paysages excitants (une bonne partie du pays est en reconstruction). 

 

Đakovica / Gjakova, une personne à qui l'on pose une question dans la rue nous conseille de ne pas rater Bonevet, le premier "Maker Space", ou Fab Lab, du Kosovo, ouvert en particulier pour les enfants. Voici par exemple ci-dessous l'une des imprimantes 3D qui leur a permi de créer le bras automatique à côté, qui fonctionnera bientôt en réagissant à des capteurs actionnés par les mouvements d'un vrai bras plus loin. Comme d'autres au même moment à la Courneuve, on se questionne quand même un peu sur l'aspect émancipateur de l'assocation, très branchée "start up"... Grand chantier de réflexion.

 

 

A Prizren, après une premiere balade sur la place centrale et une visite d'un tekke, lieu de méditation des derviches bektashis (courant de l'islam très présent en Albanie et appartenant à l'ordre soufi), nous longeons la rivière qui coupe la ville en deux pour poser notre tente au bord de l'eau, munis du combo "burek yoghurt" du Mac du coin : Merak. 

Le lendemain, nous visitons le siège de la ligue de Prizren, fondée à la fin du XIXe siècle par un groupe d'intellectuels  albanais souhaitant réunir toutes les terres albanaises en un Etat, suite aux traités de San Stefano et de Berlin (qui redessinaient les frontières de la région) après la guerre russo-ottomane de 1877-78. Le siege, reconstruit à l'identique après sa destruction par l'armée serbe pendant la guerre et devenu aujourd'hui un musée, est un peu l'embryon du futur Etat albanais qui naîtra quelques années plus tard, en 1912... qui ne comprendra pas le Kosovo actuel, malgré les propositions de frontières du gouvernement albanais provisoire de l'époque (voir cette carte).

 

Les bains historiques de la villes sont fermés pour rénovation, mais nous aurons la chance  de pouvoir visitier de nombreuses mosquées et églises, et même d'assister à la prière dans l'une d'elles, de rite sunnite.

 

 

Quelques petits soucis sur nos bécanes difficiles à solutionner nous conduisent dans le garage de deux frangins dignes de Géo Trouvetou. On peut voir par exemple dans leur atelier ci-dessous les milliers de clous retirés de toute sortes de pneus, avec comme "clous" de sa collection ceux sous les photos de vieilles voitures.

 

Pendant que l'un des frères nous montre ses trophées de chasse au sanglier ou à l'ours, l'autre résoud nos petits problèmes à coups de perceuses, et surtout à coup d'ingeniosité, pour ensuite poser devant les outils agricoles de ses parents et grands-parents avant lui, ou encore avec une moto datant des années 1950 et qui fait sa fierté, car elle fonctionne toujours ! 

 

Avant d aller en Albanie, nous decidons d aller faire un tour en pays gorani ("habitants de la foret") dont les particularités découvertes dans quelques articles les semaines précédentes (une grande majorité desquels signés Jean-Arnault Derens et Laurent Geslin, pour le Monde Diplo ou Le Courrier des Balkans) ont attisé notre curiosité.

 

Les Gorani sont encore environ 5000 à vivre dans une poignée de villages des montagnes albanaises, kosovares et macédoniennes, malgré le départ des jeunes vers les grandes villes. Ils sont de religion musulmane et de langue slave. Cette identité originale les conduira d'ailleurs parfois à être designés comme boucs émissaires  ou traîtres par les Serbes comme les Albanais  lors de conflits régionaux. 

 

Sur le chemin pour Brod, notre destination, nous nous arrêtons à Dragash, principale ville de la région. Une banderole (ci-dessus) souhaite la bienvenue dans la ville à la diaspora. Un peu plus loin, on passe devant un local de l'UCK, le parti de liberation du Kosovo.

 

En guerre dix ans plus tôt contre la Serbie au sujet du Kosovo, l'UCK a également défrayé la chronique pour des trafics d'organes commis pendant la guerre sur des prisonniers puis dans les années 2000 sur des donneurs "volontaires".  En effet, les anciens dirigeants du parti dont Hashim Thaci, aujourd hui à la tête du Kosovo sont soupçonnés d'avoir continué leur traffic sous le nez de la KFOR, la force européenne chargée de  garantir la paix au Kosovo. 

Les villages gorani nichés sur les flancs de la Gora, où perce le minaret central

 

La route s'arrête à Brod, et nous aussi. 

 

On pose notre tente dans le jardin d'un couple âgé, Kademša et Bekir. Leur fils Ramadan est là pour les vacances avec ses enfants. Il nous introduit à l'histoire et à la culture des Gorani. Tout le monde dans le village est Gorani. Le départ des jeunes, qui vont chercher du travail dans de plus grandes villes ou à l'étranger, rend difficile la transmission et la préservation de la culture et de la langue, mais beaucoup rentrent chaque été, et certains se marient même au pays. Jean-Arnault Derens et Laurent Geslin ont écrit un livre sur ce petit peuple, Voyage au pays des Gorani, si vous voulez voyager un peu plus loin avec eux chez les Gorani... 

On va bien plus loin à vélo...

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Commentaires: 3
  • #1

    catherine (dimanche, 25 septembre 2016 19:35)

    merci pour ce nouveau chapitre palpitant du feuilleton sur le voyage et la vie dans ce coin des Balkans ...
    à bientôt en espérant que l'été indien durera longtemps là bas pour vous
    bisous
    catherine

  • #2

    Véronique (mercredi, 28 septembre 2016 22:36)

    Les Gorani ... !
    On vous croirait explorant l'Amazonie ... en plein cœur de l'Europe.
    Merci à vous de nous faire découvrir tant de particularités, tant de différences !
    Bonne continuation de voyage. Bisous.

  • #3

    Anne-Sophie C (dimanche, 02 octobre 2016 08:07)

    Super récit bien instructif ! Je vous imagine chevauchant vos vélos sur les différents chemins que vous savez si bien décrire ! Bonne route !